Un procès pour déshonneur après la catastrophe maritime
Lundi 3 mars 1817. Rochefort. Hôtel de la Marine. Le verdict va être rendu. Le contre-amiral de la Tullaye s’adresse au Capitaine de frégate Hugues Duroy de Chaumareys. Il est reconnu coupable de manquement à l’honneur. Rayé des cadres et de l’ordre de Saint Louis. Le déshonneur est complet. Et c’est pourtant moindre mal pour un garçon qui aura mené à la catastrophe « la Méduse », une belle frégate, partie de l’île d’Aix pour rallier Saint Louis, le comptoir français du Sénégal. Duroy de Chaumareys n’en a fait qu’à sa tête. N’écoutant pas ses officiers et se fiant plutôt à un aventurier, il a commencé par distancer le convoi auquel il appartenait avant de se tromper de position et d’échouer lamentablement sur un banc de sable à 60 km des côtes. Une tempête achève la destruction.
La Méduse / Illustration choisie par Monsieur de France : Par Jean-Jérôme Baugean — Relation complète du naufrage de la frégate la Méduse faisant partie de l'expédition du Sénégal en 1816, by A. Corréard, H. Savigny, P. d'Anglas de Praviel and Paul C. L. Alexandre Rang des Adrets (dit « Sander Rang »). Reprint 1968 by Jean de Bonnot éditeur., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=19330163
Le drame du radeau de fortune
Pour sauver ce qui peut l’être, il est décidé de la construction d’un radeau de 20 mètres sur 7, tiré par des chaloupes. 151 hommes prennent place tant bien que mal sur le radeau. Mais bien vite, volontairement ou non, les cordes lâchent. Les chaloupes partent. Le radeau dérive. Les occupants des chaloupes atteignent la terre avec peine. Certains meurent dans le désert. D’autres, comme le commandant Chaumareys, rejoignent Saint Louis. Le radeau, lui, dérive pendant 13 jours.
Le plan du radeau de la Méduse / Photo choisie par Monsieur de France : Par Alexandre Corréard — Relation complète du naufrage de la frégate La Méduse faisant partie de l'expédition du Sénégal en 1816, by A. Correard, H. Savigny, D'Anglas de Praviel and Paul C.L. Alexandre Rand des Adrets (dit Sander Rang). Reprint 1968 by Jean de Bonnot éditeur., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=19331233
Une survie tragique sur l’Atlantique
Sur le radeau, les hommes affrontent mutineries, bagarres, noyades, faim et soif. Ils mangent des cordages, du cuir, et certains sombrent dans le cannibalisme. Chaumareys, quant à lui, revient sur l’épave de la Méduse récupérer or et survivants, puis revient à Saint Louis. Quand enfin le sauvetage arrive, ils ne sont plus que 15. Cinq meurent encore. Seuls dix survivent.
Géricault immortalise l’horreur en peinture
Le peintre Théodore Géricault / illustration choisie par Monsieur de France : Par Horace Vernet — https://www.metmuseum.org/art/collection/search/438033, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=56509105
Théodore Géricault (né le 26 septembre 1791 – mort le 26 janvier 1824) choisit de représenter cette tragédie dans un tableau gigantesque achevé en 1819 : Le Radeau de la Méduse. Il montre le moment précis où les survivants aperçoivent à l’horizon un navire, L’Argus, porteur d’un possible salut. L’œuvre, de 491 × 716 cm, est d’une composition saisissante : au sommet d’une pyramide humaine, un homme noir agite un linge vers l’horizon, tandis qu’autour, d’autres corps s’effondrent, morts ou à l’agonie. Géricault réalise un long travail préparatoire : il interroge des survivants, visite des morgues, construit une maquette du radeau, et réalise des études anatomiques d’une précision terrifiante. Il peint avec une obsession du détail, du réalisme et du pathos. Le tableau choque au Salon de 1819, mais il devient rapidement un chef-d’œuvre du romantisme, à la fois politique, humaniste et artistique. L’homme noir au sommet du radeau symbolise aussi un message antiesclavagiste à peine voilé.
Le tableau le radeau de la Méduse est visible au Louvre / illustration wikicommons
Une affaire d’État transformée en œuvre engagée
Le scandale du naufrage a secoué la monarchie restaurée. L’incompétence du capitaine, nommé par favoritisme, reflète la corruption du régime. Le tableau de Géricault, avec son réalisme tragique, est aussi un acte d’accusation en peinture. C’est l’art romantique dans toute sa puissance : le destin humain, la mer, l’horreur, la lumière de l’espoir.
Où voir l'oeuvre "le radeau de la Méduse" ?
Au musée du Louvre
aile Denon, 1er étage, salle Mollien (Salle 700 - niveau Romantisme)
Métro Palais Royal Musée du Louvre
Illustration : Par Théodore Géricault — Source inconnue, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=17456087
