Charles : le premier Sanson qui devient bourreau... Par amour
Ou disons par le mariage (il arrive parfois qu'on se marie sans être amoureux si si !). A la fin du XVIIe siècle, Charles Sanson, un Normand, ancien officier, épouse Marguerite Jouenne. Jeune, jolie... Et fille du bourreau de Rouen, Pierre Jouenne. A l'époque, quand on épouse la fille d'un bourreau, on ne peut plus faire autre chose que bourreau. Il faut dire que les exécuteurs et leurs familles forment une sorte de caste complètement ostracisée dans la société française. Au moyen-âge, le bourreau vit hors les murs de la cité, il doit être facile à repérer pour être évité, souvent vêtu de rouge, pour que personne n'ait le malheur de lui parler. Et quand personne ne vous parle, pas facile de trouver "chaussure à son pied" alors bien souvent les enfants de bourreaux épousent des enfants de bourreaux, à moins que quelqu'un ne vienne de l'extérieur épouser un membre de la famille. C'est donc le cas de Charles qui a épousé Marguerite, la fille de "Monsieur de Rouen" - on donne au bourreau le nom de la ville où il officie, par exemple Monsieur de Paris, Monsieur de Lyon etc...-
Un bourreau au travail (gravure du moyen-âge) source wikipedia.
Et quand il faut se mettre au boulot, ça ne va pas du tout.
Devenu gendre de bourreau, et donc bourreau à son tour, Charles Sanson procède à sa première exécution en 1675 à Rouen, et elle entre dans les annales du métier tant elle est ... Ratée ! Ce jour-là, Charles doit "rompre" un condamné au supplice de la roue. Un supplice atroce (et en public). Le condamné est allongé sur une croix en forme de X et le bourreau, munit d'une énorme barre de fer, lui brise les os des bras, des jambes, avant de lui briser les hanches et le sternum puis de le hisser sur une roue sur laquelle, littéralement démentibulé, le condamné "rend son âme à Dieu quand Il lui plait de la prendre", c'est à dire plus ou moins longtemps après avoir été hissé. Certains mettent des heures à mourir. Et c'est ce supplice-là que Charles Sanson rate complètement comme en attestent de vieux écrits qui disent que "l'exécuteur des hautes œuvres ayant forcé son gendre, nouvellement marié, à porter un coup de barre au patient, ledit gendre tomba en pâmoison et fut couvert de huées par la foule". Bref : Charles était sensible, il s'est évanoui et il a raté le boulot. La honte dans la famille et on imagine l'engueulade du beau-père le soir. Mais il faut croire qu'il s'est bien repris ensuite puisque, devenu veuf en 1685, il monte à Paris en 1687 où il devient aide bourreau, puis bourreau lui-même (après que son patron a été arrêté et condamné pour proxénétisme). Charles meurt en 1703, après avoir exercé jusqu'en 1699 et avoir épousé, en secondes noces, une autre fille de bourreau ; Jeanne Dubut, la fille du bourreau de Melun cette fois.
Le supplice de la roue vu par les éditions Larousse (source wikipédia).
Charles II Sanson : une première râtée avant de nombreuses "réussites"
De son mariage avec Marguerite Jouenne, Charles a eu un fils qui va continuer la vocation de la famille dans la capitale Française. Ce fils s'appelle Charles II Sanson, il est né vers 1681 à Rouen. Aide-bourreau de son père, il devient officiellement bourreau de Paris en 1707. Lui aussi a eu des soucis avec le métier le premier jour, puisque le 16 juin 1699 (il n'a que 18 ans), il rate l'exécution de Angélique Nicole Carlier. Il faut dire que la dame (condamnée à mort pour avoir assassiné son mari) était particulièrement belle et qu'elle lui a baisé la main avant qu'il ne se saisisse de l'épée destinée à trancher le cou de la condamnée. Il a du s'y reprendre à 3 fois... Autant vous dire que le public l'a pas mal sifflé lui aussi.
Charles s'est rattrapé par la suite. Il a notamment roué (mieux que son père !) le célèbre bandit Cartouche, le comte de Horn (un cousin du Régent) et pendu pas mal de truc. Époux de Anne Marthe Dubut, la sœur de la femme de son père (et fille, elle aussi du bourreau de Melun). C'est le père de Charles III Sanson. Il décède à Paris en 1726 en laissant un fils de 7 ans. Sa veuve se remarie avec l'aide de son mari, François Prudhomme (un spécialiste renommé de la torture) qui fait le boulot en attendant que le petit Charles III devienne assez grand pour trancher à son tour.
Charles III Sanson : l'executeur du régicide Damiens.
L'éxécution de Robert François Damiens par écartelement en 1757 à Paris. Par G.Garitan — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=126581195
Né en 1719 à Paris, il devient officiellement bourreau de Paris à l'âge de 20 ans (quand François Prudhomme, son beau-père, lui rend la place). Il épouse (évidemment) une fille, et même petite-fille de bourreau, Jeanne Grabrielle Berger (un fort caractère comme on verra). Il est célèbre pour avoir présidé à l'exécution de Robert François Damiens, un homme qui a voulu assassiner Louis XV en lui portant un coup de couteau à Versailles. Pour les régicides, la peine est terrible. Ils sont plusieurs dont le fameux Ravaillac, assassin de Henri IV à l'avoir endurée. Le condamné est amené sur l'échaffaud où il est "tenaillé aux mamelles, au gras des gras et des jambes", ensuite on on lui brûle la main droite au feu de souffre, ensuite sur les plaies de tenailles, on fait couler du plomb fondu, de la poix fondue, en enfin il est écartelé par des chevaux reliés à ses membres. Un supplice affreux, que Charles III ne peut pas faire véritablement puisqu'il a été frappé d'apoplexie 3 ans plus tôt, mais il préside ce que font son frère, Nicolas, son ancien collègue François Prudhomme et ... Son propre fils Charles IV Sanson qui en restera traumatisé (tout comme son oncle Nicolas qui met fin à ses fonction après l'exécution). Il faut dire qu'il a fallu plus de 60 lancées des chevaux et même découper les tendons pour accomplir la besogne : François Robert Damiens était une force de la nature. Charles III continue a présider le travail de son fils, notamment l'exécution râtée de Lally-Talendal en finissant lui même le travail en tranchant le cou du condamné (que son fils a littéralement hâché menu, ratant chacun de ses coups d'épée).
Charles IV Henri Sanson ; la star de la famille.
Né le 15 février 1739, il étudie en Normandie, avant de devoir quitter l'école quand un parent d'élève se rend compte qu'il est fils de bourreau. La condition de bourreau n'a pas du tout évolué au XVIIIE siècle et un bourreau est toujours mis au ban. Il ne peut pas faire autre chose que bourreau s'il est fils de bourreau. Ceci dit, la "charge" rapporte pas mal d'argent et c'est ce qui amène Charles IV à prendre la succession de son père, alors même qu'il n'a pas envie de ce métier, pour assurer la subsistance de la famille. Il débute par l'éxécution du Chevalier de la Barre (dont monsieur de France vous raconte l'histoire ici), il continue avec Antoine François Desrues (un empoisonneur qui est brûlé vif), ou encore Lally Talendal (1766) dont il rate completement la décapitation à coup d'épée. Au point que son père, toujours officiellement bourreau mais a moitié paralysé, doit venir finir le travail. Il devient bourreau titulaire et il est bien connu des parisiens qui viennent assez nombreux sur la place de grève (devant l'hôtel de ville) assister aux éxécutions.
Il utilise la guillotine le premier
Le mode d'emploi de la guillotine d'après une encyclopédie de la fin du XVIIIe siècle.
Jusqu'à l'année 1789, les modes d'exécutions sont diverses et variés en fonctions de la peine et du statut social. Les nobles sont décapités, à coup d'épée (et on les rate souvent). Pour les roturiers, il y a la pendaison (et on peut être pendu pour vol), le bûcher (pour les hérétiques et les empoisonneurs), la roue (qu'on vous a racontée plus haut), et même, pour les faux monnayeurs, être bouilli-vif. C'est le Docteur Louis, et le député Guillotin qui vont amener l'Assemblée Nationale que la mort est "suffisante" pour payer le crime et qu'on ne doit pas ajouter des souffrances au condamnés. L'Assemblé Nationale décide en 1791 que ce sera la même mort pour tous et que "tout condamné aura la tête tranché". Protestation de Charles Henri Sanson : pas possible d'enchaîner les éxécutions en tranchant les têtes à coup d'épée. C'est très physique et l'épée finirait par s'émousser. On planche donc sur une sorte de machine qui faciliterait la tâche du bourreau. C'est ainsi que la guillotine (du nom du docteur guillotin qui l'a promue mais qui était horrifié qu'on lui donne son nom) est imaginée et installée : elle coupe la tête avec égalité puisque désormais nobles et roturiers auront la même mort et, d'après ses concepteurs, elle ne fait pas souffrir. Un premier essai à lieu sur un mouton 1792. Concluant. On réitère cette fois sur un homme, Nicolas Jacques Pelletier, condamné à mort pour vol et agression et il est le premier à périr par la guillotine le 25 avril 1792 à Paris. Les Sanson et leurs aident apprennent à utiliser et même améliorer l'engin. Ils sont mêmes amenés à étudier les manières de le démonter et de le déplacer (notamment en vérifiant que l'engin est bien droit pour éviter que la lame se bloque s'il est incliné).
L'homme qui a guillotiné Louis XVI, Marie Antoinette et tant d'autres
Exécution de Louis XVI par Charles Henri SANSON le 21 janvier 1793 (musée Carnavalet de Paris).
Charles IV est la "star" de la famille puisqu'en plus des condamnés "habituels" (meurtriers, voleurs...), il a tranché la tête de près de 3000 personnes entre 1792 et octobre 1796 dont Louis XVI (le 21 janvier 1793), Marie Antoinette (le 16 octobre), mais aussi Danton, Camille Desmoulins, Robespierre, Saint-Just, Manon Roland... Et tant d'autres. Il a fait un procès en diffamation à ceux qui l'ont accusé d'avoir giflée devant la foule la tête de Charlotte Corday (qui a tué Marat) qui aurait rougi. C'était le fait d'un charpentier qui ne bossait pas pour lui. En revanche, C'est à lui que Danton à dit "tu montreras ma tête au Peuple, elle en vaut la peine". On dit qu'il affirmait que si les gens voyaient une exécution de près et ce qui se passe après avoir vu la peur dans les yeux des condamnés, il y en aurait beaucoup moins. Il a aussi défendu la mémoire de Louis XVI quand il a été dit que le roi avait fait preuve de lâcheté. On dit d'ailleurs qu'il était monarchiste et que c'est bien malgré lui qu'il a du trancher la tête de Louis XVI.
Gabriel Sanson : victime d'un accident du travail
FIls de Charles IV, il est né en 1769, il a longtemps assisté son père lors des exécutions et il devait reprendre "la boite de papa" quand il est mort d'un accident du travail . Ce jour là, en 1792, alors qu'il veut montrer une tête qui vient de tomber à la foule qui se trouve autour de la guillotine, Gabriel glisse sur le sang répandu et tombe de l'échaffaud. Il se brise le cou. Il faut dire qu'on décapitait les condamnés par "fournées" (c'est le mot de certains à l'époque) arrivant en charette, et que toutes ces têtes tranchées génèrent beaucoup de sang. Il repose à Paris au Cimetière de Montmartre avec plusieurs membres de la famille.
C'est en faisant le geste de brandir une tête recemment tranchée que Gabriel Sanson est mort en glissant (gravure d'époque).
Henri Sanson l'avant dernier
Né en 1767, il est l'un des rares à avoir fait "autre chose" que bourreau puisqu'il a été capitaine d'une équipe de canonniers à Paris et il a même fait de la politique en s'opposant à l'arrestation de Robespierre. Devenu officiellement bourreau en 1795, il a exécuté Fouquier-Tinville, président du tribunal révolutionnaire qui avait fourni l'immense majorité des condamnés à mort de Charles IV Sanson. Il est célèbre aussi pour avoir fait plusieurs exécutions "multiples", comme celles de l'affaire du courrier de Lyon.
Henri II Sanson le dernier : gay et joueur
Né en 1799, il ne réalise "que" 18 exécutions à Paris (loin loin derrière son grand père donc). Il est le plus original de la famille et c'est ce qui le perdra. D'abord, il est joueur. On le croise souvent au casino et il perd des sommes astronomiques au point où il est incarcéré pour dettes. Il va jusqu'à mettre la guillotine en gage pour pouvoir sortir de prison. Et surtout, il semble que Henri Sanson ait été gay. C'est en tout cas pour avoir été vu dans une maison connue pour ses résidents homosexuels qu'on lui retire la charge de bourreau. Officiellement pour des raisons de santé, officieusement parce que son nom figure sur le registre des "pédérastes" de la préfecture de Paris. Il meurt en 1889 et c'est avec lui que s'éteint cette célèbre dynastie.
A Paris : l'hôtel de ville, la Condorde et Montmartre...
Si vous voulez marcher sur les traces de la famille Sanson, vous pouvez vous rendre devant l'hôtel de ville puisque c'est là, sur la "place de grève" (parce qu'elle s'achevait par les berges sableuses de la Seine), que les bourreaux Sanson ont officié jusqu'à la Révolution Française. Ensuite, la guillotine a changé plusieurs fois d'endroits avant d'être installée sur ce qui est aujourd'hui la Place de la Concorde (devant l'hôtel de la Marine). Enfin, il existe le tombeau familial des Sanson dans le petit cimetière de Montmartre.