C'est quoi un petit rat ?
C'est une ou un élève de l'école de danse de l'opéra de Paris. Fondée en 1713, sur ordre de Louis XIV, l'école forme les meilleurs dans son domaine. Elles et ils sont une grosse trentaine à en suivre les cours de danse pendant 6 ans, en même temps que leur cursus scolaire. Leurs études se terminent par un concours. La formation est extrêmement exigeante et ils sont 1/3 environ à achever le parcours. Ensuite, les plus grands corps de ballets, notamment celui de l'Opéra de Paris, s'ouvrent à elles et eux.
Une jeune danseuse qui s'étire. Photo choisie par monsieurdefrance.com : Rawpixel via depositphotos.
Mais alors pourquoi petits rats ?
Avant son déménagement à Nanterre en 1988 dans un batiment imaginé par l'architecte Christian de Portzemparc, l'école était située dans l'Opéra de Paris, l'opéra Pelletier, qui a précédé l'Opéra Garnier qu'on connaît aujourd'hui en tant qu'Opéra de Paris. Les enfants vivaient dans le batiments et on les voyait sur scène le soir. Dans la journée, elles s'entraînaient dans les combles de l'opéra (il y a longtemps eu uniquement des filles". Sous les toits donc, et on entendait le bruit de leurs pas de danses, faibles, à travers le plafond. Un bruit discret, furtif, exactement comme celui que faisaient les rats de Paris. De son côté,Théophile Gautier pense que les enfants abimaient souvent les décors, comme le faisaient aussi les rats. Le mot a fini par qualifier les jeunes danseuses et les jeunes danseurs de l'opéra de Paris. Il est même devenu un titre de noblesse dans le monde de la danse.
Le foyer de danse de l'opéra de Paris (et les petits rats). Tableau Par Edgar Degas vers 1872 — https://www.vogue.fr/fashion-culture/article/edgar-degas-and-the-dancer-the-artists-most-beautiful-representations, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=93728103
Une vie rude que nous ont racontée des auteurs
Nestor Roqueplan en parle dans "les nouvelles à la main" en 1840 : "Le vrai Rat, en bon langage, est une petite fille de sept à quatorze ans, élève de la danse, qui porte des souliers usés par d'autres, des châles déteints, des chapeaux couleur de suie, qui sent la fumée de quinquet, a du pain dans ses poches et demande six sous pour acheter des bonbons ; le rat fait des trous aux décorations pour voir le spectacle, court au grand galop derrière les toiles de fond et joue aux quatre coins des corridors ; il est censé gagner vingt sous par soirée, mais au moyen des amendes énormes qu'il encourt par ses désordres, il ne touche par mois que huit à dix francs et trente coups de pieds de sa mère". De son côté, Théophile Gautier nous écrit "Le rat, malgré son nom mâle, est un être d’un genre éminemment féminin : il ne va ni dans les caves ni dans les greniers ; on le rencontre rarement dans les égouts, et plus rarement encore dans les églises. On ne le trouve que vers la rue Le Peletier, à l’Académie royale de musique, ou vers la rue Richer, à la classe de danse ; il n’existe que là ; vous chercheriez vainement un rat sur toute la surface du globe. Paris possède trois choses que toutes les capitales lui envient : le gamin, la grisette et le rat. Le rat est un gamin de théâtre qui a tous les défauts du gamin des rues, moins les bonnes qualités, et qui, comme lui, est né de la révolution de juillet On appelle ainsi à l’Opéra les petites filles qui se destinent à être danseuses, et qui figurent dans les espaliers, les lointains, les vols, les apothéoses et autres situations où leur petitesse peut s’expliquer par la perspective. L’âge du rat varie de huit à quatorze ou quinze ans ; un rat de seize ans est un très-vieux rat, un rat huppé, un rat blanc ; c’est la plus haute vieillesse où il puisse arriver ; à cet âge, ses études sont à peu près terminées, il débute et danse un pas seul, son nom a été sur l’affiche en toutes lettres ; il passe tigre, et devient premier, second, troisième sujet, ou coryphée, selon ses mérites ou ses protections".