Jeanne Barret : première femme à faire le tour du monde en secret
Née en 1740 à La Comelle, en Bourgogne, dans un environnement rural modeste, Jeanne Barret est une femme curieuse et très bien organisée. Ce qui change sa vie, c'est sa rencontre avec Philibert Commerson (1727-1773), un naturaliste renommé, qui reconnaît immédiatement son talent et l’engage comme gouvernante. Au-delà des tâches qui sont les siennes habituellement, Jeanne révèle très vite ses qualités. Elle n'a pas son pareil pour classer, organiser le travail de son patron dont elle devient l'assistante et même bientôt compagne. L'amour frappe où il veut ! En 1766, Commerson est désigné pour participer à la grande expédition de Louis-Antoine de Bougainville, destinée à explorer les terres du Pacifique Sud. Mais à cette époque, les femmes sont strictement interdites à bord des navires de la Marine royale. Commerson ne veut pas se passer de Jeanne, non seulement parce qu'elle est sa femme (même non mariée) mais aussi parce qu'elle est précieuse pour son travail. Il décide de prendre un risque en la faisant monter à bord et pour cela, il décide de la déguiser en marin. Elle prend le nom de Jean Barret, et embarque sur l’Étoile, le navire scientifique de l’expédition qui doit faire le tour du monde.
Philibert COMMERSON / Image choisie par Monsieur de France : Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=38085
Jeanne Barret se déguise en homme pour participer à une expédition qui fait le tour du monde
Jeanne Barret déguisée en homme pour faire le tour du monde en bateau / Photo choisie par monsieur de France : Par Cristoforo Dall'Acqua — http://www.tahiti-infos.com/Jeanne-Baret-un-garcon-fut-la-1re-vahine-popa-a-a-Tahiti_a143451.html, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=56565756
Jean Barret est donc à bord. Toujours aux côtés de Commerson. La supercherie tient bon pendant plusieurs mois. Sous son identité de Jean, Jeanne Barret prend part aux escales à Montevideo, au Brésil — où elle participe à l’identification de la bougainvillée —, puis à Tahiti, où sa véritable identité est soupçonnée puis révélée. Malgré cela, elle est autorisée à rester à bord, en raison de ses compétences et de sa conduite irréprochable. Jeanne continue donc le voyage, et elle devient la première femme connue à avoir accompli un tour du monde complet. Son exploit, longtemps passé sous silence, reste une prouesse unique dans un monde entièrement régi par des normes masculines. C'est véritablement une pionnière.
Une botaniste de génie restée trop longtemps dans l’ombre
Jeanne Barret a contribué à la découverte et à l'identification de la bougainvillée / Photo choisie par Monsieur de France : mcont_ via depositphotos
Durant toute l’expédition, Jeanne joue un rôle déterminant dans la collecte et la description de milliers d’échantillons botaniques. On lui doit notamment des découvertes majeures au Brésil et à Madagascar. Elle contribue à l’identification de la Bougainvillée, une plante devenue célèbre. Commerson, conscient de son travail, et amoureux probablement, lui dédie un arbuste de la famille des Meliaceae le Baretia bonnafidia. Néanmoins, l'espèce change par la suite de nom pour devenir Turraea floribunda. Bref, même efficace, scientifique dans sa démarche, Jeanne n'est pas reconnue à son époque, et même au delà bien que ses apports soient essentiels, son travail étant attribué à Commerson.
Jeanne Barret : Une vie d’aventures du Brésil à Tahiti et de l'île Maurice à la France
Mais continuons la vie de Jeanne Barret : après le décès de Commerson en 1773 sur l’île de France (actuelle île Maurice), Jeanne Barret pose sac à terre comme on dit chez les marins et elle reste sur place. Elle y ouvre une auberge fréquentée par des marins et officiers français et c’est là qu’elle rencontre Jean Dubernat, qu’elle épouse en 1774. Ensemble, ils retournent en France en 1775. Et c'est donc 10 ans après son départ que Jeanne achève ainsi son tour du monde, devenant officiellement la première femme à l’avoir accompli. Ca n'échappe par à Louis XVI, passionné de voyages et de géographie (alors qu'il part pour être guillotiné, il demande à son entourage "a t'on des nouvelles de Monsieur de la Pérouse ? La Pérouse faisant son tour du monde à l'époque).
Bougainville débarque à Tahiti et Jeanne Barret avec lui / image choisie par Monsieur de France : Par Émile Rouargue — Ce fichier provient de Numelyo, la bibliothèque numérique de Lyon, sous l'identifiant BML_00GOO0100137001102411571., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=148340065
En 1776, le roi accorde à Jeanne une pension de 200 livres par an, soulignant « sa conduite exemplaire » et « le zèle qu’elle a montré en servant de domestique et d’aide botaniste à M. de Commerson ». Une distinction rare. Morte en 1807, elle repose en Dordogne et sa tombe se trouve à Saint Antoine de Breuilh.
Un destin redécouvert : reconnaissance posthume et hommages modernes à Jeanne Barret
Photo de couverture choisie par monsieur de France : Shelley Evans de Pixabay
Elle est redécouverte par le XXIe siècle. Ainsi, en 2012, une plante découverte en Équateur, le Solanum baretiae, est nommée en son honneur par des chercheurs. Plusieurs villes ont donné son nom à des rues, mais elles sont encore peu nombreuses. Aujourd’hui, le nom de Jeanne Barret réapparaît progressivement dans la mémoire collective. Plusieurs lieux portent son nom en France, notamment des rues et des établissements scolaires. En 2022, un patrouilleur de la Marine nationale est baptisé en son honneur. Plus étonnant encore, un relief montagneux sur Pluton a été nommé « monts Baret » en hommage à son audace. Des livres, documentaires et articles lui redonnent enfin la place qu’elle mérite. Loin d’être un simple personnage de l’ombre, Jeanne Barret incarne l’audace, l’intelligence et la ténacité d’une femme qui a su être curieuse, scientifique et audacieuse.